Nous avons encore entendu un truc bien relou, en provenance directe du monde merveilleux du sexisme intégré qu’on se coltine au quotidien, et qui nous fout bien la mort, car il émane des filles. À l’occasion d’une interview de l’humoriste Constance suite aux messages de haine reçus après qu’elle se soit retrouvée seins nus dans sa chronique sur France Inter, on nous rediffuse des extraits de ladite chronique… Or, celle-ci s’achève sur la réaction spontanée d’une autre chroniqueuse de l’émission, laquelle s’écrie « Constance montre ses seins mais c’est une fille qui a des couilles ! »
Alors vu que beaucoup se sont déjà exprimés sur le sujet de ses boobs et de sa chronique, on va peut-être revenir sur un truc qui paraît anodin parce que c’est de la sémantique, mais justement, le diable fornique à donf dans la sémantique.

« C’est une fille qui a des couilles. »

Et là, nous disons non, juste non. Mais nous allons étayer notre propos, sinon ce serait trop facile.

Avoir des couilles est une particularité anatomique masculine qui n’implique rien d’autre qu’avoir des couilles. C’est comme avoir des reins, des jambes, des oreilles, des poumons, des ovaires ou des seins. Sauf exception, tous les représentants mâles humains ont des testicules.

La subtilité, notre fond de commerce

Est-ce qu’on pourrait arrêter un instant d’attribuer le fait d’être pourvu d’une paire de burnes à des notions comme le courage ou la bravoure ou le culot ou nous ne savons quoi d’autre ? Est-ce que les femmes, en priorité, pourraient cesser d’utiliser des expressions comme « ça c’est une meuf qui en a une grosse » ou « voilà une fille couillue » ? Vous rendez-vous compte, mesdames et mesdemoiselles, qu’en colportant ce type de réflexions, vous entérinez cette notion de sexisme déjà bien intégré selon laquelle l’homme, le mâle dominant, le pater familias, possède le symbole de la suprématie entre ses cuisses grâce à une paire de chromosomes ? Comme quoi, cette histoire de paire remonte loin…

Nous en revenons encore à cette idée que pour qu’une femme soit forte, indépendante, ambitieuse, qu’elle réussisse dans sa vie, la société lui donne presque systématiquement des attributs masculins. D’ailleurs, la force, l’indépendance, l’ambition et le succès ne sont-ils pas des traits connotés masculins par une Histoire pas moins phallocrate ? Malheureusement oui, mais comment faire changer les choses quand on continue à jouer au jeu de « celui ou celle qui a la plus grosse paire » ?

Personnellement, nous ne le prenons pas comme un compliment si on nous dit que nous sommes couillues. Ce n’est pas ce que nous attendons de notre engagement. Nous ne souhaitons pas qu’on nous accorde l’honneur de nous placer au même rang que les hommes d’après des critères de jugement masculins.

[click_to_tweet tweet= »Non, nous sommes des femmes, nous n’avons pas besoin de couilles pour être au moins aussi fortes, indépendantes et ambitieuses qu’un homme. Nous avons déjà des ovaires, si vraiment il faut en avoir une paire. » quote= »Non, nous sommes des femmes, nous n’avons pas besoin de couilles pour être au moins aussi fortes, indépendantes et ambitieuses qu’un homme. Nous avons déjà des ovaires, si vraiment il faut en avoir une paire. »]

Et puis rappelons pour mémoire qu’un coup de genou dans les testicules met un homme à terre en une seconde. Comment un élément du corps aussi fragile (peut-être le plus fragile) peut-il être associé à la résistance ? Le jour où on aura l’égalité complète sera le jour où on dira d’un homme endurant : « Putain, celui-là il a un putain d’énorme utérus ! » Parce que là, on parle d’un organe qui a sûrement des origines viking et néo-zélandaises à la fois.

Oui oui, on vous entend vous tous, là, qui hurlez « aaaaaah mais ça va, y’a plus grave comme combat, c’est juste une expression « avoir des couilles », faut pas voir le mal partout !!! »
Bon alors une bonne fois pour toutes :

  1. Un combat n’est pas exclusif des autres. On ne dispose pas d’un forfait limité de combats et au-delà de deux on explose. On peut militer pour la suppression de l’excision dans le monde et la féminisation des rues de nos villes. On peut militer pour la préservation de la banquise et pour qu’on serve des repas vegan à ceux qui le souhaitent dans les cantines. Vous voyez le truc ? On se bat pour le nombre de causes qui nous inspirent, point. Alors, ce n’est pas parce qu’on la ramène sur des expressions courantes du langage qu’on oublie les autres combats.
  2. « Ce n’est qu’une expression ». On n’avait pas remarqué. Rappelons que les expressions de langage sont le reflet d’une époque et qu’elles se changent ! Si si, faut arrêter de s’accrocher à un mot ou une orthographe parce que : « on a toujours dit ça ». D’abord non, la langue évolue continuellement, et ensuite, une langue qui n’évolue pas, guess what (oui de l’anglais, on est ouf !), elle meurt. Or, les petits combats sont aussi importants que les grands, et on a assez de force pour tous les mener. Lutter contre le sexisme quotidien qui se niche dans des détails, c’est facile, à la portée de tous, alors ce serait con de s’en priver. Donc, quand une expression est merdique et qu’elle véhicule un vieux relent de machisme, eh ben nous, on milite pour en ajouter une autre. On fait évoluer la langue et les cultures. Et l’univers ne s’ouvrira pas en deux, vous verrez tout se passera bien.

Donc si seulement les femmes, en premier lieu (éradiquons ce putain de sexisme intégré), voulaient bien arrêter de masculiniser les femmes, et nous parlons aussi pour les héroïnes en littérature (histoire de recentrer le débat et de faire semblant que ça a un rapport avec ce site) (alors qu’en réalité, ça a vraiment un rapport avec tout), et comprenaient que la valeur de leur sexe ne se situe pas au niveau de leurs parties génitales, métaphoriques ou non, mais de leur cerveau, le féminisme ferait un grand pas en avant.

Oup’s pardon, nous avons dit un gros mot. Nous parlons du mot « féminisme », bien sûr, pas de « couilles ».

Oren & Fleur