Il y a quelques semaines, la communauté des auteurs-lecteurs se soulevait presque d’une même voix pour s’insurger lorsque Livre Paris refusait de rémunérer les auteurs lors des tables rondes et conférences proposées. Twitter, Facebook, Instagram… les réseaux sociaux ont obtenu gain de cause et le salon littéraire de référence français a capitulé. Bravo, c’est une belle victoire, il ne reste plus qu’à espérer que ça entre totalement dans les mœurs !

Aujourd’hui, pourtant, je discute d’un sujet avec des amies qui amènent à ma connaissance le cas du RARE qui aura lieu à Paris en avril 2019. Petit point sur ce qu’est le RARE : il s’agit d’un événement qu’on appellerait « salon littéraire » en France, axé sur la romance où les lecteurs payent leur entrée afin de rencontrer pas loin d’une centaine d’auteurs du genre. Jusque là, on connaît le principe. Mais aux US d’où vient ce salon, les auteurs doivent également payer pour avoir une table et rencontrer ces lecteurs. Pour des raisons diverses sur lesquelles je ne m’étendrai pas ici, c’est ainsi que ça fonctionne et c’est culturellement accepté. Chez eux.

Car en France, la plupart des auteurs publiés, à l’inverse, sont signés chez un éditeur. Dans le contrat d’édition classique, il est bien stipulé que l’éditeur s’engage à faire la promotion de l’ouvrage et de l’auteur à ses frais. C’est ce qu’on appelle un contrat à compte d’éditeur où l’auteur n’a rien à payer de sa poche pour la publication de son livre. Jusque là, je pense que je ne vous apprends rien, mais ça me semblait important de faire le point.

Aussi, quand j’ai reçu une invitation de la part des organisatrices du RARE, je les ai remerciées et je leur ai dit que je faisais suivre à mon éditeur, car c’est lui qui gère cet aspect de mon travail.

Pour assister en tant qu’auteur au RARE (ou à la RARE, je ne sais pas trop en fait) (et on s’en fout), il faut payer 350 euros de frais pour avoir une table. À cela s’ajoutent des frais de déplacement. Dans mon cas, venant de l’autre bout de la France, en arrondissant on arrive à 150 euros l’aller-retour si on s’y prend bien à l’avance. Et puis une nuit d’hôtel, car il m’est impossible de faire 11 heures de train dans la même journée. Donc allez, arrondissons à 70 euros (même si à Paris, ça signifie un hôtel un peu pourri mais, admettons). Si le repas est compris dans les frais du RARE, tous les repas ne le sont pas lorsqu’on est obligé de rester sur le week-end, comme moi. Ajoutons que lors de ces événements, il est de coutume de venir avec des goodies à offrir aux lecteurs, allez, soyons fous, arrondissons le coût de l’événement à 700 euros.

La RARE prévoit 700 visiteurs, ça tombe bien, ça va nous faciliter les choses pour la suite du calcul.

Sachant que je suis rémunérée à hauteur de 8% sur le prix public d’un livre qui se vend en moyenne dans les 15 euros, soyons encore un petit peu fous et arrondissons ce que je touche à la somme de 1 euro par livre.

Sur cet euro, il me faut retirer environ 10% d’impôts et 15% d’AGESSA. Il me reste donc 75 cents.

Si chaque visiteur ayant pris une entrée au RARE achetait un de mes livres (oui, j’ai dit qu’on était fous, car il est évident que rien de tel ne se produirait) (sauf si peut-être je menaçais les lecteurs avec une arme, mais il paraît que c’est interdit par la loi) (et je ne possède pas d’arme à part mon chat), je toucherais net 525 euros sur ce salon.

Cessons d’être fous un instant, et soyons réalistes, ça nous changera. Il est bien entendu utopique que les visiteurs achètent chacun un de mes romans. Sur la durée de l’événement, quelques heures, il est même complètement surréaliste d’imaginer, à mon niveau, que 10% des visiteurs achètent un de mes romans.

Donc, pour résumer et arrêter avec les chiffres, c’est un salon qui me coûterait plusieurs centaines d’euros de ma poche, si je devais m’y rendre en suivant les coutumes américaines de l’organisation.

Pourquoi, alors que c’est le travail de mon éditeur de gérer la communication, la promo, les événements etc., je m’amuserais à dépenser de l’argent que je n’ai pas, pour rencontrer mes lecteurs ? Lecteurs que j’aurais probablement déjà rencontrés 3 semaines avant, toujours à Paris, à l’occasion de Livre Paris où mon éditeur m’aura sûrement à nouveau invitée, en payant mon déplacement et ma nuit d’hôtel. Donc ce salon ne m’assurerait même pas une visibilité supplémentaire.

Si je comprends les différences culturelles et les respecte dans la mesure où elles n’ont aucun impact sur moi, je refuse tout simplement de m’y plier. Comme le dit mon très sage papa : à Rome, on vit comme les Romains. Oui, je sais, il s’agit de Paris, mais l’idée est là : en France, ce n’est pas ainsi que le système éditorial fonctionne.

Je ne jette nullement la pierre à celles qui se rendent au RARE, que ce soit les auteurs françaises ou les lectrices. Chacun fait bien comme il le souhaite. Mais puisqu’on m’envoie beaucoup de messages depuis que les auteurs du RARE de Paris 2019 ont été annoncés en me demandant pourquoi je n’y figure pas, il me semblait qu’une petite explication s’imposait.

Bien sûr, si mon éditeur n’avait que ça à faire de son budget communication et m’invitait, j’irais avec plaisir. Et je ne lui en veux pas étant donné les circonstances, il faut prioriser et je rappelle, pour les deux du fond qui ne suivent pas, que Livre Paris a lieu 3 semaines avant. Bien sûr, si j’étais en auto-édition, ça ferait parti de mon poste de dépenses « promotion » et j’irais sûrement. Mais dans l’état actuel de la situation, dépenser 700 euros n’a aucun intérêt pour moi. J’ai beaucoup d’autres occasions dans l’année de rencontrer mes lecteurs dans d’autres événements totalement pris en charge par mon éditeur.

Alors, #PayeTonAuteur, mais pas trop, hein. Fais-le plutôt payer, ce sera beaucoup plus drôle. Déjà qu’il a une situation précaire au niveau fiscal et juridique, il ne faudrait pas qu’il ait la prétention, à un moment, de se dégager un peu d’argent grâce à son activité. Après, il va croire qu’écrivain est un métier et se mettre dans la tête qu’il pourrait même en vivre… Ouf ! J’ai cru que mon statut allait être amélioré, on n’est pas passé loin ! #FaisPayerTonAuteur ou #ExploiteTonAuteur c’est sûr, ça sonne moins bien. Mais laissez-moi quelques jours, je suis sûre que je peux trouver un bon hashtag à faire tourner.

Pour conclure je dirais que dans l’absolu, je n’ai rien contre la RARE ayant lieu à Paris, mais je ne me sens tout simplement pas concernée par cet événement.

Allez, je retourne écrire. Parce qu’avec les 75 cents que je touche par livre, je prévois de faire plein de choses. Par exemple, combien coûte un Carambar, de nos jours ? Non, parce que je ne peux pas viser le pain au chocolat, hein (non, on ne dit pas « chocolatine ») (ah ah le petit pavé-débat, c’était gratuit, un rien m’amuse), c’est plus cher que ça. Maintenant, j’ai envie d’un pain au chocolat, c’est malin.

14 Comments on #PayeTonAuteur… mais pas trop, hein

  1. Yeaaaaah ! J’ai bondi devant mon ordinateur en lisant que j’avais reçu une notification de ton blog, ça me fait tellement plaisir de te lire ! 😀
    Bref, pour revenir au sujet principal, je suis tout aussi révoltée que toi par la situation. Je ne sais pas trop quoi faire pour aider à mon échelle, alors je retweet, je # et j’en parle autour de moi et sur mes plateformes… Mais je crains que le changement ne se fasse que petit pas par petit pas. Au moins, ça avance. J’essaye de voir le positif. Peut-être qu’un jour (que je souhaite très proche), les auteurs et autrices français(es) pourront vivre de leurs créations (qui sont à la base de tout le monde du livre, mais chut, faut pas le dire trop fort). Le milieu du livre est appelé à muter, ou à crever. Réduire les intermédiaires ? Obtenir une vraie rémunération ? Parce que 75 cents par livre, ce n’est pas sérieux. Finalement, je me demande si les auteurs auto édité ne s’en sortent pas mieux …? Un peu comme ce bédéiste, le créateur de Maliki (je ne sais plus si c’est le titre) qui a choisi de devenir autonome…?

    J’espère que tu vas bien et que tu écris bien, des bisous <3

    • Hé hé merci à toi d’être toujours au rendez-vous <3
      Pour les auto-édités, je pense que c'est beaucoup beaucoup de travail et d'investissement personnel, et au final c'est peut-être intéressant financièrement, mais dans quelles conditions ? En tout cas j'admire les auteurs à leur compte, ça représente une dépense d'énergie que je ne me sens pas de faire. Le système US, pour le coup, est très élaboré : l'auteur s'entoure de professionnels, qu'il rémunère donc, et gère tout. En fait c'est comme avoir sa petite entreprise. Encore une fois, pour le moment je préfère le confort que m'offre un éditeur, mais je ne te cache pas que j'y ai souvent songé, avec dans l'idée de le faire à l'américaine. À suivre...
      J'espère aussi que tu vas bien et que tu poursuis l'écriture 😉 Bises ^^

  2. Coucou Fleur, je comprends tout à fait ton raisonnement. Et merci pour ce petit éclairage sur le fonctionnement de la RARE Paris.
    Je ne savais pas du tout ce que c’était.
    Bonne continuation pour l’écriture Miss Chocolatine !

    • Merci miss ! Je pense que c’est important de jouer la transparence, beaucoup trop de sujets sont encore tabous et amènent à des légendes sur tel ou tel métier…

  3. Merci pour cet article plus qu’édifiant. Je suis auteur indépendante ; j’ai récemment donné une conférence à l’université du Havre, qui m’a fait la surprise de me payer mes frais de déplacement et la nuit d’hôtel, plus un repas.
    On est correct ou on ne l’est pas :).
    Sur ce, je vais m’acheter un schneck 😉 (patois lorrain pour escargot au raisin).

    • Ah ah la schneck a une autre définition dans mon monde 😛
      L’université du Havre a été tout à fait correcte, en effet, et même si ce n’est pas encore le cas de toutes les institutions qui font intervenir des auteurs, ça veut dire qu’il y a encore de l’espoir 😉

  4. Décidément je savais que l’envers du décor d’un auteur est peu reluisant mais la situation est bien pire que je n’imaginais . Dommage que la plupart de ces visiteuses de Rare se jetteront plutôt sur les auteurs étrangères que les Françaises comme elles auront l’occasion de les voir à livre Paris .
    Je souhaiterais bien du courage à celles qui dépenseront jusqu’à leurs derniers deniers pour des bénéfices improbables.
    Je te comprends et soutiens ton raisonnement.
    Bonne écriture
    Soumya

    • Après je ne veux pas juger celles qui s’y rendent en payant de leur poche, et je ne parle qu’en mon nom, mais cet événement fait doublon avec Livre Paris à mon avis… et dans des conditions beaucoup moins intéressantes pour les auteurs.
      Merci pour l’écriture ^^

  5. Le RARE fonctionne de cette manière dans chaque pays où il a eu lieu, pourquoi devrait-on changer le système ? Parce que nous sommes français et que nous trouvons toujours à redire à tout ? C’est une manifestation anglo-saxonne, les auteures l’apprécient et si elles décident de payer LEUR table, c’est qu’elles y trouvent un intérêt.
    Moi, je vois ça comme une formidable opportunité pour les lectrices de rencontrer des auteures qu’elles n’auraient jamais pu croiser. C’est un système complètement différent de livre de Paris, aucune comparaison.

    • À quel moment ai-je jugé les personnes qui voulaient payer leur table ? Je parle pour moi, il me semble, non ? Je donne les raisons pour lesquelles je n’y trouve pas d’intérêt. Comme je l’ai dit dans l’article (mais l’as-tu seulement lu sans a priori ?), chacun fait bien comme il l’entend. La discussion est toujours la bienvenue sur mon site, l’agressivité gratuite beaucoup moins. Tu souhaites discuter du sujet de façon respectueuse avec moi ? Ce sera avec grand plaisir. Mais ne perds pas de vue que nous sommes sur mon site et que j’estime quand même avoir le droit de donner mon opinion sur ma vision des choses sur mon espace personnel d’expression. Considère donc qu’en terme de relations pixélisées sur la toile, tu viens d’entrer chez moi afin de me cracher ton mépris au visage. Forcément, j’apprécie moyennement.

  6. Je suis ravie de voir que cet événement vienne en France. Je n’irais pas à la RARE pour voir des auteurs française, hé oui, comme vous l’avez dit, pourquoi une auteure française irait alors qu’il y a le salon de Paris juste avant ? Sauf que pour les auteurs anglais, c’est une bonne opportunité parce qu’elles ne sont jamais venues signer pour la plupart en France. A savoir que les EU c’est quand même autre chose au niveau des taxes (bon en soit je sais pas comment ça fonctionne chez eux mais si même les auto-édités décident de venir c’est qu’elles savent que ça va leur profiter). Donc voilà, j’irais mais pas pour voir les auteures VF…

    • Tout à fait, je suis du même avis : pour les auteurs étrangers c’est une opportunité comme ça l’est pour leur lectorat. Après, encore une fois, les auteurs français qui souhaitent y prendre une table tant mieux pour eux. Chacun envisage à sa façon, la mienne n’engage que moi et c’est déjà pas mal 😉 et c’est vrai que je ne connais pas bien le détail du fonctionnement des auteurs et leurs revenus etc aux US si ce n’est qu’il est différent du nôtre. Ça vaudra le coup que je me renseigne par curiosité ^^

  7. Toujours un vrai plaisir de te lire ma belle Fleur, que se soit en roman ou ici. Oui parce que lorsque tu te décides a partager avec nous ton ressenti et bien tu le fais toujours de manière simple, réfléchie et posé! Alors merci car ton point de vue est juste !
    Je t embrasse

  8. Elle est revenu ! ♡♡♡
    Mais cette année n’en finit pas de nous montrer le (triste) envers du décor de la vie d’auteur ! Personnellement je n’irai pas à la RARE car il n’y a pour ainsi dire aucun auteur que je connaisse (ça y est tu l’apprends enfin : les seules romances qui touchent mon coeur naissent de ta plume ! Et de celles de Sophie Jomain et Lily Haime. Qui ne sont pas invitées donc). Tu nous manques sur les RS mais je me dis que c’est pour la bonne cause et qu’on aura bientôt un nouveau roman avec lequel spammer internet mouahahahahaha!! Des bisous ♡

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